dimanche 30 octobre 2011

Düsseldorf 3 : Andreas Gursky

Article précédent : Thomas Ruff

Il parait nécessaire, pour poursuivre cette étude de l’École de Düsseldorf, d'analyser le travail d'Andreas Gursky, bien que ce dernier - comme on le rappelle si souvent(1) - n'a finalement que peu de liens avec la photographie de Bernd et Hilla Becher. En effet, Gursky s'attache beaucoup à la figure humaine - d'une manière particulière, on y reviendra -, il travaille sur des formats proprement monumentaux, là où les Becher s'attachent aux petits formats, en s'inspirant du modèle du chef d'oeuvre - précision de taille, on y reviendra dans un futur article. Cependant, il est intéressant d'observer le même intérêt pour l'archive, Gursky revendiquant son oeuvre comme une "encyclopédie de la vie", rappelant le "peintre de la vie moderne", récupéré par Jeff Wall.
Adreas Gursky - Kathedrale I

A propos de figures humaines, Gursky en donne une vue tout à fait personnelle, tant par rapport à l'histoire de la photographie qu'au mouvement de Düsseldorf : les personnes ne sont jamais montrées en tant qu'individus spécifiques, mais la plupart du temps par groupe et presque toujours assez loin pour qu'on ne puisse pas les reconnaître en tant qu'individus. La ressemblance avec Jeff Wall vaut encore d'être évoquée - notons que Jeff Wall était un modèle pour Gursky à ses débuts et que, en retour, Jeff Wall cite maintenant Andreas Gursky comme source d'inspiration - : Wall écrivait en 1995 dans son article Sur la création des paysages : "assez loin pour nous détacher de la présence immédiate des figures, mais pas assez loin pour perdre la capacité de les distinguer comme agents dans un espace social."
Andreas Gursky - 99 cents
 Cela est possible pour Gursky par le moyen de ces monumentaux formats dont on a parlé précédemment : les figures humaines, si petites soient-elles, sont toujours perceptibles grâce à la taille des tirages - qui fait d'ailleurs qu'il est ridicule d'en montrer des reproductions numérique, l'expérience devant être vécue de visu ; de là naît une expérience dont Gursky fut un des précurseurs, et dont il reste surtout le plus bel exemple : l'interpénétration de la micro et de la macroscopie de l'image. L'on est en effet invité à se tenir loin des tirages de Gursky pour en embrasser toute l'étendue, mais aussi, après un certain temps, à s'en approcher de très près, étudier les petits détails qui fourmillent dans ses grands tableaux, tels que celui du Parlement allemand.
Andreas Gursky - Girodano Bruno

Si l’œuvre de l'artiste comprend effectivement des composantes narratives, bien que le spectateur n'ait jamais l'impression de réellement se trouver devant un instantané, ses meilleures productions sont celles qui conservent un élément de mystère, comme Kathedrale I, qui présente la cathédrale de Chartres, étonnamment privée de couleur, filmée par une équipe dont on sait, si l'on se renseigne bien, qu'il s'agit de Wim Wenders - cette information ne nous étant d'aucune utilité par ailleurs. 
La référence au cinéma peut ouvrir ici sur le champ de la compétition entre médium typiquement moderniste auquel peut aussi se rattacher le thème des fenêtres qui ne s'ouvrent pas ; la photographie de Gursky a surtout beaucoup à voir avec une certaine sorte d'abstraction, dans cette image-ci notamment par l'absence de couleur (au sein, précisons-le, d'une image qui n'est pas en noir et blanc) mais aussi par la présence écrasante et structurante de la géométrie dans la plupart de ses photographies.
Andreas Gursky - Bundestag

La géométrie dompte pour ainsi dire parfois le désordre du monde et le désordre humain, par exemple dans Bundestag ; la géométrie participe aussi de la parcellisation de la photographie, évoquant les collages mais aussi, et surtout, le traitement numérique que Gursky applique systématiquement sur ses images depuis 1991. Cette auto-référence à la photographie montre que Gursky a une grande conscience de son médium et qu'il considère ses prises de vue non comme témoignage ou document, mais bel et bien comme construction, comme paradigme de la réalité.
Cet effet construit est provoqué aussi par l'aspect irréel, ou le doute qui peut planer quant à la réalité d'une situation, dû à la retouche numérique des oeuvres, au départ utilisée pour clarifier les photographies puis pour justement suspendre le jugement. Retenir l'évidence de la photographie, se placer fragilement sur ce point d'équilibre du doute pour pouvoir se placer en "super signes", presque en allégories, de la vie sociale.



(1) Notre principale source d'analyse est toujours l'article de Stefan Gronert sur l'Ecole de Düsseldorf déjà évoqué.

4 commentaires :

  1. Notons que Gursky vient de battre son propre record ; 4,34 millions de dollars devient donc le prix le plus cher auquel a jamais été vendu une photographie.

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  2. entre 20 000 et 25 000 euros pour un album de tintin
    l'argent fait-il l'art (ou sa légitimité ?)

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  3. L'art existe-t-il en dehors d'un marché ?

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