samedi 10 décembre 2011

Le Cheval de Turin, un film sur le rien

En réponse à l'article de Bérenger

Un cheval, un homme, sa fille, et leur vie inlassablement répétée à l'identique. Seuls les angles changent. Les pommes de terre fumantes. Le paysage secoué par le vent. La maison rudimentaire. S'habiller. Se déshabiller. Gestes terre-à-terre. Et en haut les éléments se déchaînent.

La photographie du Cheval de Turin est réussie : le noir et blanc rend les fumées diaphanes, presque irréelles. Il y a un jeu entre l'immobilisme du dedans et la furie du dehors particulièrement bien rendu. Les deux acteurs ont des gueules extraordinaires. Immobiles lors de la scène finale, le film prend une dimension picturale.

Les jugements de valeurs se discutent, mais ne se disputent pas. Pour moi, l'art doit émouvoir. Le Cheval de Turin ne fait que nous mettre à l'épreuve pendant trois heures, à l'instar de la définition que donne Susan Sontag des happenings qui "maltraitent le spectacteur". Ici, pas d'effet de choc, mais une suite de plans très lents. Peu de paroles sont proférées, souvent les mêmes, "le dîner est prêt". L'ennui à l'épreuve de trois heures.

La qualité d'un film ne dépend pas de sa durée, ou de la tenacité du spectateur à comprendre un film qui déjoue ses attentes. L'art ne relève pas uniquement du savoir, mais de la sensation. Les films et les pièces de théâtre tendent à être de plus en plus longs, comme si, en creux, se lisait la critique du zapping : sommes-nous encore capables de prendre le temps ? De rester attentifs trois heures durant ?

De plus, ce film pose la question du plaisir et du divertissement. Qui, face à ce désert apocalyptique, ne subit pas ce film ? La grâce de certaines images, bien sûr, nous envahit, mais les quelques notes de violon crissées à l'infini ? L'art doit-il être désagréable ?

Enfin, la référence lointaine à Nietzsche semble d'emblée cerner un public : le Cheval de Turin, un film pour les happy few ?

6 commentaires :

  1. Le temps a dû effectivement paraître bien long à l'auteur, qui confond 2h26 – la durée réelle du film - avec 3 heures – fruit de son imagination -, ce qui nous fait tout de même douter de la sûreté de son jugement, et de son analyse. Jugé à l'aune de cette première distorsion – peut-être involontaire, mais rien n'interdirait à des esprits suspicieux de penser qu'il s'agit d'un acte volontaire, délibéré -, le reste risque fort d'être discrédité, car descendant, pourrions-nous dire héréditairement, de cette première assertion frappée d'inexactitude.
    Ainsi, parler de crissements à propos de la musique de ce film me semble réellement mensonger ; que cet ostinato qui revient quasiment de bout en bout du film puisse être pénible, c'est une chose que l'on peut admettre et qui ne dépend que de l'inclination personnelle propre à chacun, dont il me semble que nous ne soyons pas en mesure de juger ; cependant il est de certains fait qui sont têtus, et qualifier de crissement une mélodie parfaitement intelligible, qui n'est pour tout dire même pas dissonante, cela relève du mensonge.
    Une phrase m'a interpellé. "L'art doit-il être désagréable ?". Il me semble que ce film ne cherche pas du tout à être désagréable ; encore une fois, il peut l'être, mais, ne serait-ce que par la beauté de ses plans, il cherche tout de même à emporter l'adhésion des spectateurs. Peut-être est-il interrogatif, mais désagréable…
    De plus, certains films, qui cherchent à être désagréables, ou créer un malaise, me semblent valables – Funny Games de Haneke, ou bien La Pianiste, du même auteur, ou encore Tu ne tueras point, de Kristof Kieslowski, tous droits délivrant une expérience pénible, et qui sont des œuvres d'art -, de sorte que cette question n'a pas vraiment de sens ; sauf à considérer que ce film fait vraiment tout pour être pénible, ne cherchant que ça, ce qui n'est manifestement pas le cas.
    Et au fond, n'est-ce pas ce que l'on cherche, dans un film ? Ou une photo ? Ou un livre ? Quelque chose qui ne soit pas que de l'émotion ? Quelque chose de différent ? Pénible, ou transcendantal, que sais-je encore ? Si l'on veut conserver notre confort, n'y a-t-il pas Doisneau pour ça ? Ou Marc Levy ? Y a vachement d'émotion, chez ces deux-là ; et des bons sentiments, aussi ; mais au final, qui est le plus chiant ? Eux, ou Bela Tarr ? Donc, à la question "L'art peut-il être désagréable", je réponds oui.
    Quant au fait que ce film ne s'adresserait qu'à des happy few, pitié. L'épisode qui donne le prétexte au film, on s'en fout ; je n'ai rien lu de Nietzsche, je ne connaissais cette histoire que par ouï-dire, elle est rappelée au tout début du film, et puis c'est tout. Il n'est absolument pas question de Nietzsche dans ce film. Et s'il semble, aux dernières données du box-office, que ce film n'a attiré que dix mille spectateurs, contre douze millions pour Intouchables, ou trois millions pour Twilight, eh bien tant pis ; ce n'est pas la faute au film, mais bien aux spectateurs.

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  2. Suis assez d'accord avec le Cantalindépendant. L'art désagréable pourquoi pas ? Et pourquoi pas agréable aussi ? Ce qui m'interpelle là-dedans, ce sont deux oukhazes qui me semblent donner à réfléchir. La distinction toute jésuitique entre "discuter" et "disputer". Pour ma part, je crois que la vrais discussion suppose un peu d'engagement des locuteurs, un peu de véhémence sans laquelle toute conversation est un vaste seau de merde fade et ennuyeuse. N'est ce pas ce qu'en dit Montaigne ?
    L'autre vérité révélée, c'est que l'art doit émouvoir. Et pourquoi donc ? Qui le dit ? L'art ne peut-il pas s'adresser aussi à l'intelligence ? L'art contemporain est-il censé émouvoir ? Le bidet de Duchamp ou le carré blanc sur fond blanc, Dada, c'est émouvant ? Le cinéma, oui, sans doute, doit émouvoir, s'il veut vendre 2 millions d'entrée...
    Juste un petit reproche à Cantaletc. Il me paraît difficile de dire qu'une oeuvre ne parle pas de Nietzsche quand on n'a pas lu Nietzsche... C'est juste un petit point de méthode...

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  3. La question n'est pas "l'art doit-il ou ne doit-il pas être désagréable", mais peut-être plutôt : "l'art doit-il plaire", non ?
    Après, sur la question de la destination, je suis assez d'accord avec Marina - et comment ne pas l'être ? - : ce film ne peut être qu'un film à destination des élites. Mais l'art n'a-t-il pas toujours été à destination des élites ?

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  4. je ne suis pas d'accord quant au caractère élitiste de ce film. Je veux dire par là qu'il est compréhensible par tout le monde, sans qu'il y ait besoin de références préalables. IL n'est pas excluant, à l'inverse de certaines oeuvres qui peuvent effectivement être absconses.
    Après c'est une question de choix du public.

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  5. Il y aurait d'ailleurs quelque chose à écrire sur "le public a-t-il des goûts de chiotte ?".

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  6. Et aussi, les élites, en définitive, c'est qui ? B.H.L. ? Strauss Kahn ? Sarkhozy ? Les normaliens ? Les énarques ? Etes vous sûr que ceux là vont au cinéma ? De qui parle-t-on ?

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