vendredi 14 décembre 2012

Paris Photo, rareté et valeur des tirages photographiques 3/3

 La valeur de la rareté

Du point de vue financier, les prix de la foire s’échelonnent de 390 $ à 364 000 $[1] pour un tirage d’Edward Weston (un lot de photographies était cependant proposé à 1 170 000 $ par la galerie Baudoin Lebon). Le prix médian est de 7 000 $ tandis que le prix moyen monte jusqu’à 16 000 $ ; cette fois-ci, cet écart nous indique que la moitié supérieure monte très haut en prix.   
Ray Metzker
      
Il est surprenant dans un premier temps d’observer que les quatre tirages les plus chers que nous avons recueillis ne comportent aucun des critères d’authentification et de valorisation soulignés par Raymonde Moulin[2] : ils ne sont ni limités ni signés[3]. Il faut même aller jusqu’au 11ème tirage le plus cher pour trouver une limitation (Ray Metzker, « Car and Street Lamp », limité à 20 exemplaires). Dans un second temps, il nous faut remarquer que la date moyenne de production de ces images est 1920, soit largement avant que la signature et a fortiori la limitation devienne la règle hégémonique (le tirage limité de Ray Metzker date ainsi de 1966) ; quant à l’authenticité, il ne nous reste plus qu’à supposer que ces tirages sont bardés de certificats d’experts, que ces galeries fameuses fondent sur leur réputation la confiance de leurs clients.     
Cela a tout de même l’avantage de remettre en question le célèbre adage qui dit que « plus c’est rare, plus c’est cher ». Il y a à l’évidence bien d’autres critères qui régissent les goûts des acheteurs et les prix des photographies. Mises en relation avec le prix, les éditions ne vont pas non plus dans le sens de la plus grande rareté : les tirages les plus chers, nous l’avons vu, ne comportent aucune limitation ; les tirages limités les plus chers sont donc celui de Ray Metzker limité à 20 exemplaires (11ème place), un tirage d’Irving Penn limité à 9 exemplaires (16ème place) immédiatement suivi d’un tirage d’Hiroshi Sugimoto à 5 exemplaires, un de Mike et Doug Starn limité à 3 (21ème place)… On remarque bien entendu que tous les tirages les plus chers sont édités en deçà de la limite fixée par la loi française (30 exemplaires pour être considéré comme un tirage original), seuil d’ailleurs sans doute plus psychologique que réellement fiscal, mais qu’aucun ne se dirige vers une rareté radicale de type unitaire (et celui dont l’édition est fixée à 3 n’est que le 21ème tirage le plus cher, le premier à être en dessous des 100 000 $).         
Hiroshi Sugimoto - Oscar Wilde

Au-delà de ces chiffres « records » qui doivent beaucoup à la notoriété du tirage et de l’auteur, nous pouvons essayer d’autres outils statistiques qui, élargissant notre champ de vision, minimise l’impact individuel pour permettre de dégager au maximum une règle générale : les éditions ayant le prix moyen le plus élevé sont l’édition à 20 exemplaires[4] à presque 30 000 $ (5), puis l’édition à 4 qui atteint les 27 000 $ de moyenne (11), le tirage non marqué à 24 000 $ (478).   
Il ne faut bien sûr pas imaginer que les tirages qui ne sont pas marqués sont pour autant illimités : les auteurs de tous les tirages non marqués les plus chers sont morts depuis un certain nombre d’années et les tirages datent tous de plus de 55 ans (il faut remonter en deçà de la 50ème place du classement pour trouver un tirage non marqué plus récent : « The Whole Show » de Charles Swedlund qui date de 1970, vendu à 60 000 $). En dehors de ces tirages non marqués, pour lesquels il est impossible de connaître le tirage véritable sans effectuer un travail de recherche approfondi (hors de notre portée comme de notre propos), nous pouvons essayer d’autres outils statistiques pour estimer la rentabilité — ou la non-rentabilité – de la rareté des tirages : projetant le prix moyen d’un tirage sur le nombre de tirages annoncé, nous pouvons estimer le prix moyen d’une série de chaque édition ; de même, en projetant le prix maximal atteint dans chaque édition, on calculera le prix le plus grand que peut atteindre une série d’images. La projection moyenne nous donne ce qui suit, dans l’ordre décroissant : édition à 20, 593 000 $ en moyenne (5) ; édition à 50, 488 000 $ en moyenne (2) ; édition à 25, 378 000 $ en moyenne (21). La projection maximale nous donne sensiblement les mêmes résultats : jusqu’à 2 727 000 $ pour une série éditée à 20 exemplaires (toujours le même tirage de Ray Metzker) ; 1 589 000 $ pour une édition à 27 (« Cigarette No. 8 » d’Irving Penn) ; 1 258 000 $ pour une édition à 25 (« Lisa Vogue » d’Horst P. Horst).

Horst P. Horst - Lisa Vogue

Tous ces calculs tendent à réviser l’avis couramment admis – et dans de nombreux cas, le reproche – que les artistes limitent leurs tirages dans le but de les vendre le plus cher possible. Il n’est cependant pas question ici de remettre en cause l’idée de que le marché de l’art actuel exige des photographes de limiter leurs tirages[5] (encore que les exemples évoqués plus haut démontrent qu’il existe des artistes contemporains refusant de limiter leurs tirages, mais les informations que nous possédons sont lacunaires et trop minces pour pouvoir en tirer une quelconque conclusion), il s’agit plutôt de problématiser le rapport des artistes et des collectionneurs à la rareté.       
Il est devenu clair que la rareté est loin d’être le seul critère de prix ou d’acquisition d’une œuvre, de nombreux collectionneurs sont prêts à mettre le prix fort pour des images très célèbres et très belles – quoique multipliées – comme le montre parfaitement l’exemple de la photographie de Weston, dont on ignore même à combien d’exemplaires elle existe[6].      
Edward Weston - Nude

Du côté des artistes, la limitation signifie évidemment une perte de rentabilité puisque, passé un certain seuil – que l’on pourrait placer selon les informations évoquées plus haut à l’édition à 20 exemplaires[7] – les prix des tirages ne montent plus, ou plus suffisamment pour compenser le manque à gagner des tirages sacrifiés ; or, nous avons vu que la plupart des photographes de la foire sont en dessous de ce seuil (nous n’avons relevé que 94 photographies éditées à 20 exemplaires ou plus). Qu’est-ce qui peut les pousser à limiter malgré tout leurs tirages à 10 et moins (1277 tirages contre 199) ? Peut-on voir là l’effet d’une mode ou d’un passage symbolique obligatoire pour signifier que l’on produit de l’art, que l’on fait des photos, certes, mais que celles-ci sont exclusivement dédiées au marché de l’art ? Toujours dans l’ordre du symbolique, la limitation est-elle l’outil par lequel la photographie tente de faire œuvre, c’est-à-dire d’être plus qu’un document et d’exister hic et nunc, en tant qu’objet esthétique[8] ?
Irving Penn - Cigarette no. 8



[1] Il s’agit encore une fois des prix que nous avons pu avoir ; il est très vraisemblable qu’en particulier les prix les plus élevés aient été cachés au grand public comme à nous-mêmes.
[2] Cf. Moulin, Raymonde, De la valeur de l’art. Paris, Flammarion, 1995.
[3] À propos des signatures, nous avons déjà dit que nos informations étaient parcellaires.
[4] Nous écartons de cette liste les éditions pour lesquelles nous n’avons qu’un seul exemple, ce qui introduit un biais méthodologique, ramenant l’exercice de la moyenne à celui du record tandis que les autres éditions jouent le jeu de la moyenne. Pour cela, nous indiquons entre parenthèses le nombre de tirages concernés.
[5] Les multiples indications des galeristes « Last available print of this image » témoignent du moins que les galeristes participent de cette croyance. À l’inverse, les tirages de Joel-Peter Witkin vendus par la Galerie Baudoin Lebon sont au même prix, qu’ils soient édités à 2 ou à 12 exemplaires (alors même que cette première est plus grande !) ; de même, un tirage unique de William Klein n’est pas beaucoup plus cher qu’un tirage à 30 exemplaires à la Galerie Hackelbury.
[6] La question se pose de savoir si les galeristes en ont une idée, pouvant ainsi rassurer les éventuels acheteurs. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas l’indiquer, comme de nombreux galeristes ont indiqué avec précaution « Only known print » (dans le cas d’un tirage de Julia Margaret Cameron, par exemple) ?
[7] Cette édition cumule le record du prix le plus élevé pour une photographie marquée, le prix moyen le plus grand ainsi que le prix d’une série le plus fort. De plus, si l’on compare les éditions de 20 et plus à celles de moins de 20, on constate que ces premières l’emportent sur les secondes à propos de la moyenne du prix d’un tirage (16 000 $ contre 11 000 $), le prix moyen d’une série (255 000 $ contre 76 000 $) ainsi qu’à propos du prix record d’une série (460 000 $ contre 350 000 $).
[8] Nous développerons cette thèse, qui fait le pont entre la théorie benjaminienne et le développement presque impérialiste du marché de l’art dans la photographie dans le mémoire de Master évoqué plus haut.

samedi 8 décembre 2012

Paris Photo, rareté et valeur des tirages photographiques 2/3

La rareté des tirages

Irving Penn - Twisted Paper

Les trois photographes les plus représentés – et, par conséquent, sur lesquels nous avons le plus d’informations – dans cette foire sont William Klein, Irving Penn et Daido Moriyama, avec une trentaine de tirages relevés pour chacun ; nous avons cependant relativement peu d’informations sur la majorité des autres photographes : pour certains nous n’avons qu’une œuvre, la médiane des œuvres par artiste étant de 2 quand la moyenne est de 3,51. Sur les 727 artistes recensés, une petite quarantaine concentre 25 % de la totalité des photographies.            
Les données que nous avons pu recueillir sur les éditions ne sont que partielles : environ un millier de tirages ne porte pas de mention d’édition. L’édition minimale est bien évidemment l’édition unique, tandis que l’édition maximale est celle notée « édition illimitée[1] » (Evelyn Hofer, à la galerie m Bochum), ou bien l’édition à 69 exemplaires pour le « Twisted Paper » d’Irving Penn (à la galerie Pace/MacGill). Entre les deux extrêmes, la médiane est à 5 exemplaires, et la moyenne atteint presque 8 exemplaires. La majorité des tirages – du moins ceux pour lesquels nous possédons l’information – est donc limitée à 5 ou moins de 5 exemplaires, ce qui est assez peu ; la moyenne nous montre à l’évidence que la moitié au-dessus de 5 exemplaires comporte des tirages plus élevés que 5, mais le décalage n’est pas aussi fort qu’il pourrait l’être. Le tirage à 5 exemplaires, en plus d’être la médiane, est le tirage le plus utilisé par les photographes (395 occurrences), suivi par le tirage à 10 exemplaires (230 photographies) puis le tirage unique (197 tirages).    
      

Pour autant, il est possible que certains tirages comportent les informations comme la signature ou l’édition, mais que les cartels ne les mentionnent pas (le cas des signatures est particulièrement évocateur à ce sujet) ; comme nous n’avons bien évidemment pas eu accès aux dos des tirages, il nous a fallu introduire une subtilité dans nos relevés. Nous avons observé que certaines galeries ne mentionnaient jamais sur leurs cartels certaines informations, tandis que d’autres les mentionnent la plupart du temps, à l’exception de quelques photographies. Dans ce dernier cas, il nous a paru logique d’en déduire que les tirages concernés ne comportaient réellement pas de mention de l’information[2], tandis que dans le premier cas il était impossible de savoir, la galerie ayant visiblement une politique d’ensemble à ce propos. Ce sont les tirages dont nous pouvons déduire qu’ils ne comportent aucune information d’édition qui vont nous intéresser à présent[3] : avec 800 tirages sans inscription dans une galerie précisant l’édition, l’absence d’édition est deux fois plus courante que le deuxième terme, l’édition à 5, qui rassemble un peu moins de 400 tirages. Parmi ces tirages a priori sans indication, tous ne sont pas identiques : au vu de l’histoire de la photographie, on comprend parfaitement le fait que les tirages primitifs[4] ne soient pas numérotés. D’après les données que nous possédons, on peut retrouver des tirages uniques très tôt quand cette unicité est due à la technique même (principalement le daguerréotype[5] et le photogramme) ; on pourrait cependant dater la première limitation consciente, ou du moins indépendante des contraintes techniques, de 1939, date à laquelle Horst P. Horst limite à cinq exemplaires son tirage au platine intitulé « Dali Costumes ». Pour autant, la limitation ne semble l’emporter sur l’absence d’indication qu’à la fin des années 70 pour s’en démarquer radicalement au cours des années 90 (en 2000, les tirages limités représentent presque 90 % de la production totale).         
Horst P. Horst - Dali Costumes

Ce qui est réellement surprenant, c’est justement la persistance de la production de tirages non limités jusqu’après l’an 2000, moment où le marché des tirages photographiques (supposant a priori une limitation du tirage) est réellement arrivé à maturité. On peut même remarquer que le taux de tirages non limités se maintient, voire progresse certaines années (il représente ainsi un tiers des tirages de l’année 2006 et 16 % des tirages en 2007). L’explication chronologique n’étant plus suffisante, il nous faut avoir recours aux méthodes sociologiques et l’analyse des milieux dans lesquels les photographes évoluent peut en partie expliquer la persistance de la non-limitation aussi longtemps : on sait notamment que les photographes reporters de l’après-guerre, refusant de considérer leur production comme de l’art, ont toujours refusé de numéroter leurs tirages, comme l’exemplifie parfaitement l’archétype Henri Cartier-Bresson.         
Cette explication semble fournir une explication convenable pour les décennies d’après-guerre (on retrouve notamment entre 1944 et 2000 des tirages non limités de l’armée américaine, d’Eugene Smith, de Jacques-Henri Lartigue, Lisette Model, Izis, Brassaï, Harry Callahan, Édouard Boubat, William Klein, Otto Steinert, Louis Stettner, Josef Koudelka, Joel Meyerowitz, et plus récemment Martin Parr, Helen Levitt, Sebastiao Salgado, tous issus d’une tradition plus ou moins assumée du photojournalisme[6])… Ces tirages n’atteignent d’ailleurs pas des sommets de prix, plus de la moitié restant en dessous des 10 000 $ et ne semblent dépasser ce cap qu’au prix d’une très grande célébrité ou d’une rareté effective (comme c’est le cas par exemple du tirage de Francesca Woodman « Patterns » qui atteint 58 850 $).            
Francesca Woodman - Patterns

Il est cependant plus difficile de rendre compte de l’absence de limitation pour les années 2000, les tirages ne semblant pas avoir d’autre but que le marché de l’art et les photographes ne pouvant ignorer les règles du marché de l’art. Ne profitant pas de la possible raréfaction par le temps et étant le produit d’artistes pour la plupart encore jeunes et peu reconnus, la moyenne de prix de ces tirages est assez basse, autour de 5 000 $. Cette position peut toujours être une position éthique ou politique de refus de la limitation dans la lignée des photographes dont nous parlions plus haut ou des artistes conceptuels qui virent dans la photographie l’outil de la destruction de l’œuvre d’art, ce qui semble être le cas d’Evelyn Hofer (Galerie m Bochum) qui indique sur ses tirages « édition illimitée » depuis 1964 jusqu’à la période récente ; mais la question persiste : pourquoi tant de photographes ont-ils fait le choix de ne rien indiquer plutôt que d’imiter Evelyn Hofer[7] ?

Evelyn Hofer - The Cops, New York

Cette question nous pousse à nous demander en effet qui sont véritablement les artistes derrière ces pratiques, et quels sont précisément leurs usages de l’édition. On remarque dans un premier temps que l’immense majorité des artistes – du moins dans les limites de notre corpus – n’utilise qu’une seule édition pour toutes les images présentées à Paris Photo : 74 artistes utilisent plus d’une édition contre presque le double (144) qui n’en utilisent qu’une seule quand on observe les artistes qui ont présenté 4 œuvres et plus[8] ; 44 photographes ont utilisé deux éditions (dans lesquelles, bien souvent nous avons compté l’absence d’édition), 19 en ont présenté trois différentes puis seuls 11 artistes plus de trois (parmi lesquels le cas d’Irving Penn – 18 éditions différentes pour 32 tirages – vaut la peine d’être souligné).     
Pour étudier les usages de la limitation restreinte, nous avons choisi de nous focaliser sur les 32 artistes que nous avons référencés qui utilisent le tirage unique et qui ont montré plus de 3 photographies à Paris Photo, le cas du tirage unique étant un exemple paradigmatique de la limitation. Une fois de plus, plus de la moitié de ces photographes (18) pratique seulement l’édition unique et 8 photographes utilisent deux éditions, les 6 photographes restants utilisant 4, 5, 6 ou 8 éditions différentes dans le cas d’Herb Ritts. Si ces chiffres sont importants et semblent souligner le fait que les photographes pratiquants l’édition unique tendent à n’utiliser que celle-là, il faut mettre en relation ces chiffres avec ceux que nous avons mentionnés plus haut pour nous rendre compte – tout en assumant la marge d’erreur qu’induit inévitablement notre étude restreinte – que cette tendance reflète celle de tous les photographes, qu’ils produisent ou non des tirages uniques (voire plutôt plus s’ils ne l’utilisent pas, semble-t-il).         
La moyenne du nombre de tirages proposés de chaque artiste varie légèrement selon qu’il s’agisse d’artiste pratiquant le tirage unique (5,5 photographies par artiste en moyenne) ou d’autres photographes (3,5), mais cet écart est trop faible, notre étude trop restreinte pour que cela puisse être réellement significatif et instructif. La sélection des photographies proposées dépend ensuite beaucoup trop des galeristes pour que nous puissions en inférer une quelconque intention compensatoire de la part des artistes (quoique l’on pourrait aussi arguer du fait que les galeristes eux aussi ont un manque à gagner sur les tirages uniques et qu’ils pourraient pousser les artistes en produisant à en produire plus comparativement aux artistes produisant des multiples).
George Tony Stoll - Les activistes

Quel est-il, d’ailleurs, le rôle des galeries dans ce choix d’édition ? Il est évidemment assez difficile de le dire à partir des simples cartels, mais nous pouvons malgré tout faire quelques remarques. Nos calculs nous indiquent que trois galeries ne présentent aucune variation dans l’édition des photographies qu’elles proposent ; il s’agit en fait pour deux d’entre elles (la Galerie Jérôme Poggi et la Galerie Magda Danysz) d’un seul artiste présenté – George Tony Stoll (éditions de 5) pour la première et Feng Fangyu (éditions de 10) pour la seconde –, mais la Galerie Von Lintel se démarque en ne proposant que des tirages uniques de deux artistes différents (John Chiara et Marco Breuer). Si la stabilité des deux premières galeries s’explique par la stabilité d’un seul artiste (artistes dont nous avons souligné plus haut la grande stabilité dans l’édition), la Galerie Von Lintel semble avoir fait des choix clairs à propos de l’édition des tirages qu’elle propose, et le fait que ce soit le tirage unique n’est pas indifférent. De même, la galerie Christophe Guye ou la galerie Hussenot ne présentent que des éditions à 5, 6 ou 7 exemplaires, la plupart du temps accompagnés de deux épreuves d’artistes. À l’inverse, la galerie Pace/Mac Gill peut vendre des tirages sans aucune indication, des tirages uniques aussi bien que des tirages à 17 ou à 69 exemplaires (encore Irving Penn) ; ce qui nous amène à dire que certaines galeries, que ce soit du fait d’une politique délibérée et verbalisée ou bien d’une coïncidence ou encore d’une mode découlant de la fréquentation des artistes d’une même galerie, donnent à voir une grande harmonie dans le choix de l’édition des tirages qu’ils vendent, tandis que d’autres n’y attachent que peu d’importance, et que ces dernières semblent plus nombreuses.


[1] L’édition illimitée n’est jamais réellement illimitée, il serait intéressant de savoir combien de tirages existent déjà (tirages dont on imagine qu’ils sont produits à la demande), mais tel n’est pas notre propos ici.
[2] Pour quelle autre raison, sinon, une galerie déciderait-elle de ne pas mentionner la signature d’un photographe ou les choix d’édition qu’il a faits ?
[3] Certaines photographies portent l’indication « Édition : vintage ». Le vintage est là pour rassurer l’acheteur sur l’authenticité et la rareté du tirage qu’il achète sans pour autant prendre trop de risque. Cette indication étant trop vague et imprécise, nous ne l’avons pas prise en compte pour les analyses suivantes.
[4] D’un point de vue historique, nos données s’organisent comme suit : 126 tirages de 1839 à 1900 ; 300 tirages de 1905 à 1945 ; 469 jusqu’à 1970 ; 367 pour les années 70 et 80 ; 547 pour les deux décennies suivantes ; l’année 2010 représente 133 tirages, l’année 2011 152 et l’année 2012 384 à elle seule. On remarque à l’évidence que cette foire photographique, si elle n’est pas tout à fait démunie de tirages historiques (qui sont le plus souvent isolés dans des galeries spécialisées), se tourne radicalement vers la période la plus actuelle. À elles seules, les 12 dernières années représentent presque 50 % des tirages.
[5] Le cas du daguerréotype nous permet de dire que le tirage unique est la source même de la photographie.
[6] Ces noms ne représentent que les photographes les plus connus de la liste. Cependant, la présence de certains photographes, comme Irving Penn, ou de certains procédés, comme le tirage platine, nous rappellent que cette piste n’est pas parfaite et que nous ne parlons que des photographies qui n’éditent pas leurs tirages ou que nous supposons qu’ils n’éditent pas – ce dont on peut raisonnablement douter par exemple dans le cas précis des platines de Penn.
[7] Une image de Martin Parr possède l’indication « Open edition ». Il semble que cela soit un synonyme d’édition illimitée, mais l’énoncé est trop vague pour que nous en soyons sûr.
[8] Pour des raisons évidentes, nous avons ici sorti de nos calculs les artistes ayant présenté une seule photographie. Nous avons aussi sorti les photographes ne présentant que 2 ou 3 tirages, de façon arbitraire, pour limiter l’impact du hasard sur les chiffres suivants.