mercredi 22 février 2012

Le Corps utopique

Ce lieu que Proust, doucement, anxieusement, vient occuper de nouveau à chacun de ses réveils, à ces lieux-là, dès que j'ai les yeux ouverts, je ne peux plus échapper. Non pas que je sois par lui cloué sur place - puisqu'après tout je peux non seulement bouger et remuer, mais je peux le "bouger", le remuer, le changer de place -, seulement voilà : je ne peux pas me déplacer sans lui, je ne peux pas le laisser là où il est pour m'en aller, moi, ailleurs. Je peux bien aller au bout du monde, je peux bien me tapir, le matin, sous mes couvertures, me faire aussi petit que je pourrais, je peux bien me laisser fondre au soleil sur la plage, il sera toujours là où je suis. Il est ici irréparablement, jamais ailleurs. Mon corps, c'est le contraire d'une utopie, ce qui n'est jamais sous un autre ciel, il est le lieu absolu, le petit fragment d'espace avec lequel, au sens strict, je fais corps.

Michel Foucault, Le corps utopique, les hétérotopies.
 Nouvelles éditions lignes, 2010

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