jeudi 19 avril 2012

Le mouvement dans l'art paléolithique 1/4

            Notre étude tentera de répondre à la question suivante : en quelle mesure les hommes préhistoriques se sont-ils trouvés confrontés à l'idée de mouvement dans leurs représentations animales ? Dans un premier temps, nous nous appuierons sur les travaux menés par M. Azéma depuis une vingtaine d'années, à partir de ses ouvrages : L'art des cavernes en action, en deux volumes. Nous essaierons d'analyser sa démarche et la manière dont il a fait évoluer ses recherches. L'auteur dans le premier tome présente l'anatomie, le mode de vie et les comportement des animaux modèles du bestiaire de l'art paléolithique. C'est avec cette même précision scientifique que M. Azéma  recense les figures en mouvement à travers 4634 représentations d'animaux, provenant de 141 grottes françaises. Il a ensuite cherché à comprendre comment les artistes paléolithiques ont tenté de traduire graphiquement les mouvements des animaux observés dans la nature. Nous verrons que certains codes ou conventions graphiques ont à cet effet été établis. Dans un second temps, nous développerons l'étude de ces conventions définies par M. Azéma et traiterons de l'idée même de mouvement. Le Larousse définit le mouvement comme étant le «déplacement [d'un corps] par rapport à un point fixe de l'espace et à un moment déterminé.»[1]  Ce moment déterminé introduit la notion de temps, nommée d'ailleurs par M. Azéma par l'expression «quatrième dimension». Nous verrons aussi que grâce à deux procédés de décomposition du mouvement en images successives, les artistes préhistoriques pourraient presque être perçus comme les inventeurs d'un pré-cinéma. Enfin, nous utiliserons différentes notions établies par M. Azéma dans le but de proposer une analyse personnelle d'un détail de la grotte Chauvet, qui donne à voir la plupart des concepts relatifs à la représentation du mouvement dans l'art pariétal.



Photographie d'Eadward Muybridge



            Dans le premier tome de L'art des cavernes en action, M. Azéma nous propose un véritable bestiaire[2] de l'art pariétal. Il compose un guide quasiment naturaliste des « animaux modèles » (animaux les plus fréquemment représentés par les hommes préhistoriques). L'auteur se réfère à l'éthologie, à savoir «L'étude des mœurs et du comportement individuel et social des animaux domestiques et sauvages»[3]. Cette méthode consiste à étudier le comportement animal selon plusieurs aspects : leurs façons de se mouvoir dans l'espace, leurs cycles de vie ,leurs comportements, leurs postures. Les éthologues divisent le comportement animal en 3 catégories : le comportement social, le comportement alimentaire et le comportement reproducteur.
En adoptant ce point de vue scientifique, il veut essayer de démontrer l'importance et le rôle de la représentation d'animaux en mouvement, dans l'art pariétal. En effet, le mouvement est la manifestation fondamentale de la vie animale. Son travail a été de recenser et d'établir des normes, afin de différencier les animaux immobiles des animaux en mouvement. Fabienne Rusinowski propose une méthode permettant de différencier ces deux états : «Si, dans la représentation d'un animal, le corps ou quelqu'une de ses parties subit une modification de position par rapport à l'attitude de départ (c'est-à-dire l'attitude de l'animal au placer 'image de référence'), celui-ci peut alors être considéré comme étant en mouvement»[4]. On reconnaîtra l'animal immobile par ses aplombs (les membres sont posés au sol et assurent le bon équilibre de l'animal au repos) et par la station au repos. Tandis que l'attitude d'un animal devient dynamique si au moins une partie du corps subit un changement notable de position (mouvements de la tête, de la queue, des membres) ; mais aussi les mouvements de locomotion qui entraînent la progression de l'animal d'un point à un autre de l'espace, en milieu terrestre. On distinguera  les phases d'appui,de suspension, et différentes allures. D'après Sabine Renous : «une allure est un déplacement séquentiel des membres dans l'espace et dans le temps»[5] Suite à ses observations, l'auteur va démontrer que plus de 40% des animaux, soit quasiment une figure sur deux sont animés. De plus, ce pourcentage est relativement constant d'une région à l'autre de la France, de l'Aurignacien au Magdalénien. Concernant les modèles les plus représentés, les espèces les plus dangereuses pour l'homme (comme le lion, l'ours et le rhinocéros) sont représentés en action un peu plus souvent que les autres.
M.Azéma, en répertoriant la multitude des positions représentées, nous montre à quel point les artistes ont su traduire les différentes significations de cet indicateur éthologique.

            Le second tome incite le lecteur à se questionner sur l'importance des parois et des sols des grottes comme support d'expression graphique. Cet art véhicule les pensées, mythes et croyances des hommes préhistoriques. Proposer une interprétation infaillible, dans le domaine de l'art préhistorique, est certes difficile ; il faut commencer par analyser ces représentations pour mieux comprendre cette période. La ligne directrice de M. Azéma dans cet ouvrage est de « voir comment l'animation de ces images, c'est-à-dire la représentation graphique de mouvements et comportements observés dans la nature, peut nous éclairer sur la pensée des hommes du paléolithique supérieur »[6]. L'auteur va s'appliquer à comparer les représentations d'animaux en mouvement avec des modèles réels ou vivants. Pour ce faire, il réalise un inventaire en classant les mouvements observés sur une ou plusieurs parties du corps. Trois parties se révèlent être potentiellement dynamiques : la tête, les membres, et la queue. La zone tête comprend l'encolure et la tête ; les éléments internes de la tête (oreilles, bouches, yeux) peuvent être considérés comme animés si on perçoit du mouvement. Pour chaque membre animé, a été calculé son degré d'écartement par rapport à sa position « normale » et M. Azéma a pris en compte le soulèvement de l'avant, de l'arrière ou de l'ensemble du tronc. Les mouvements de la queue ont été classés dans cinq catégories différentes en fonction de l'orientation de la queue par rapport à sa position au repos. D'autre part, une catégorie « problématique » à été ajoutée, rendant compte des cas d'appuis sur quatre membres : ils ont été retenus dans la mesure où ils représentaient des attitudes particulières (couché, agenouillé, assis) distinctes de la définition d'immobilité (station) : elles sont considérées comme des actions, donc animées. C'est toujours par le biais de l'éthologie qu'il cherchera à interpréter les mouvements qu'il a classés : « Dans la nature, le mouvement d'un animal et/ou les rapports que cet animal entretient avec ses congénères ou d'autres espèces nous renseigne sur son état comportemental» [7]. Ce qui soulève une interrogation : l'art paléolithique a-t-il cherché à interpréter les mouvements représentés dans le but de dégager des thèmes comportementaux ? Même s'il ne nous est pas possible de répondre avec certitude à cette question, M. Azéma, en établissant son répertoire comportemental, met en lumière trois attitudes qu'il a fréquemment retrouvé sur les parois des grottes : le comportement non-agressif – qui regroupe les attitudes liées à l'écoute, à l'observation ou à l'approche –, le comportement agressif,  état de nervosité, d'excitation et de rivalité, et le comportement cynégétique, qui correspond aux attitudes liées à l'acte de chasse comme la chute, l'affaissement, le renversement, la représentation de flèches ou encore de blessures.



[1]AUGÉ Paul (dir), Le petit Larousse, Larousse, Paris, 1998
[2] Ibid. « Traité, recueil d'images ayant trait aux animaux. »
[3]QUEMADA Bernard (dir), Trésor de la langue française, Cnrs, Gallimard, Paris, 1995
[4]    AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.I, Les animaux modèles. Aspect, locomotion, comportement, Errance, Paris, 2010; p.26
[5]Ibid.; p.30
[6]    AZÉMA Marc, L'art des cavernes en action, t.II, Les animaux figurés. Animation et mouvement, l'illusion de la vie, Errance, Paris, 2010
[7] Ibid.; p. 42


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