mercredi 6 novembre 2013

Lecture(s) de Descartes I : Discours de la Méthode (1/3)

Note : Le présent article est une collection hasardeuse, à visée essentiellement mnémotechnique, de remarques sur le Discours de la Méthode. Il n'a prétention ni à l'exactitude, ni à l'exhaustivité ; encore moins à la systématicité.


I

Publié en 1637, le Discours de la Méthode est une introduction à trois essais scientifiques, la Dioptrique, les Météores et la Géométrie. Il s'agit des premiers textes publiés par Descartes, alors âgé de 41 ans. Les rapports complexes que ce dernier entretient avec la publication (comme avec la publicité) de ses travaux traversent tout le Discours. Si une certaine histoire de la pensée a gardé de Descartes l'image du penseur isolé dans son célèbre poêle allemand, scientifique solitaire voire métaphysicien de cabinet, cela est probablement dû en partie à certains passages du Discours, particulièrement dans la sixième partie, où Descartes affirme avec une modestie par essence suspecte que, bien que se considérant comme "extrêmement sujet à faillir", "l'expérience que j'ai des objections qu'on me peut faire m'empêche d'en espérer aucun profit". L'isolement cartésien, dans le Discours, n'est pas plus dans la rupture avec la tradition et la philosophie de ses "précepteurs", ceux qui écrivent en latin, que dans l'exercice secret de sa propre pensée : plus qu'une rupture avec le passé, c'est l'isolement vis-à-vis du présent, la mise à l'écart de ses contemporains, que le Discours érige en figure de la méthode cartésienne.

Mais la publication même du Discours complexifie le rapport de Descartes à ses semblables ; longtemps avare de ses découvertes, voici que Descartes les résume (c'est l'objet de la cinquième partie) et pointe les limites de sa propre démarche et de sa prétention à l'autarcie méthodologique : si la méthode fait œuvre de refondation des principes de toute science, elle est incomplète sans l'appareil expérimental, et Descartes confesse lui-même la sous-détermination de la cause des phénomènes particuliers par les principes généraux qu'il déduit :
"il faut aussi que j'avoue que la puissance de la nature est si ample et si vaste, et que ces principes sont si simples et si généraux, que je ne remarque quasi plus aucun effet particulier que d'abord je ne connaisse qu'il peut en être déduit en plusieurs diverses façons ; et que ma plus grande difficulté est d'ordinaire de trouver en laquelle de ces façons il en dépend, car à cela je ne sais point d'autre expédient que de chercher derechef quelques expériences, qui soient telles que leur événement ne soit pas le même si c'est en l'une de ces façons qu'on doit l'expliquer, que si c'est en l'autre."
L'expérience cruciale est, in fine, ce qui permet de trancher, de décider : la puissance de la raison la conduit à éprouver sa propre limite dans l'objectif d'une science universelle : certainement, tout peut être déduit à partir d'un certain nombre de principes que l'exercice seul de la raison, si l'on suit la méthode cartésienne, permettra de découvrir. Mais c'est le lien exact, univoque, entre principes et phénomènes, c'est-à-dire la détermination de la cause précise d'un effet donné, qui excède le pouvoir seul de la raison, sinon en droit, du moins en fait.

Descartes semble donc avoir longtemps hésité entre la méthode autarcique, faite de "batailles" menées seul avec la raison pour seule arme nécessaire et colonne vertébrale d'une physique a priori (c'est-à-dire dans la plus pure tradition scolastique), et ce qui est en train de devenir la science moderne, a posteriori et structurée par le paradigme hypothético-déductif. En ce sens, la publication du Discours de la Méthode (et non sa seule rédaction) semble être le signe clair que Descartes opte finalement pour la seconde possibilité, et décide, après la rupture avec le passé et le présent, de donner la possibilité d'un pont avec le futur (les "neveux") qui viendront avec lui et continueront son œuvre si jamais sa propre finitude (uniquement matérielle et temporelle) ne lui permettait pas de mener son projet à bien.

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