jeudi 19 décembre 2013

Natacha Nisic, le documentaire dans les interstices

Natacha Nisic, artiste vidéaste et documentariste française, présente du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014 différents projets dans son exposition Echo, au Jeu de Paume à Paris.
   
Au bout de la rampe d’accès qui mène à l’espace qui lui est consacré, on peut déjà voir une douzaine de courtes vidéos montées en boucle : l’artiste a filmé au Super 8 des mains de différentes personnes, âges et sexes confondus, exécutant divers gestes triviaux (éplucher un fruit, tricoter, dépouiller une fleur, se laver et s’essuyer, etc.). Le tout projeté sur douze écrans télé de petit format, ramenant quasiment les mains portraiturées à l’échelle 1.

La première salle est consacrée au projet en cours de l’artiste : Andrea en conversation. Il s’agit ici de neuf écrans de télévision haute définition, posés à même le sol et devant lesquels sont placés quelques coussins invitant les visiteurs à s’asseoir. Les écrans sont disposés de telle sorte que l’on ne puisse pas tous les embrasser d’un seul regard, mais il est possible selon l’angle d’en voir trois en même temps.

Dans la seconde salle que divise une cimaise, on découvre deux projets sur le Japon. Sur la gauche, un mur de trois écrans projette les vidéos formant le film e (qui signifie image en japonais), réalisées à la suite d’un tremblement de terre violent ayant eu lieu à Fukushima en 2008. Elles sont composées de témoignages de quelques habitants qui ont vécu la catastrophe, et de travellings de paysages, d’images enregistrées depuis un avion, de zooms (sur le sol particulièrement), qui en montrent les dégâts. Sur les trois écrans, les images sont alternativement identiques et simultanées ou en décalage, ou définitivement différentes les unes des autres. Seuls les sous-titres sont identiques et synchrones.

f - 2013
 Projection vidéo HD, couleur, son, 17 min 37 s



    Leur font face deux fresques dessinées, de silhouettes humaines revêtues de tenues anti-radioactives. L'artiste dit, pour sa pièce Fukushima, avoir reporté aux crayons de couleur des photos de presse des ouvriers de la Centrale Tepco, ces futurs hibakushas.
    Sur la droite, un large écran unique projette le film f, tourné en 2013 à Hisanohama, ville côtière de la préfecture de Fukushima, durement frappée par la triple catastrophe du 11 mars 2011. Il s’agit d’un long travelling sur le paysage ponctué de temps en temps par le contrechamp instantané offert par des miroirs soigneusement disposés sur la trajectoire de la caméra. On peut ainsi voir le bord de mer qui semblait normal, et simultanément les ruines de la ville à l’arrière-plan, et vice-versa.



Andrea en conversation

III. Les soins

Les neuf vidéos de cette installation retracent partiellement le parcours d’une jeune allemande contemporaine, originaire de Bavière, Andrea Kalff, que diverses circonstances ont menée à se convertir au chamanisme coréen, mis en rapport avec des extraits de films d’archives du père Norbert Weber, datant de 1925 et tournés en Corée sous occupation japonaise.

L'histoire
Ce fut par pur hasard que Andrea, jeune femme moderne de confession catholique, mère de trois enfants, âgée alors d'une trentaine d'années, fit la rencontre de Kim Keum-hwa. Celle-ci est grande chamane, élue "trésor national" en Corée où elle est considérée comme une bienfaitrice et la guérisseuse de tous les maux. Lors d'un colloque de présentation du chamanisme coréen se tenant en Autriche, Kim Keum-hwa, venue pour former de nouvelles recrues, repéra Andrea à qui elle annonça qu'elle était atteinte de byeong, la maladie de la chamane (mudang en coréen). C'est-à-dire la maladie initiatique, qui révèle au chamanisme. 

VII. Le pays du matin calme
Film d'archive de Norbert Weber
Photogramme
(Une danse chamanique kut pour soigner un patient atteint de fièvre)

Sceptique, la jeune femme ne prêta guère attention à ces propos qui lui parurent décousus et irrationnels. Mais deux semaines plus tard, elle apprit qu'elle était atteinte d'un cancer de l'utérus, à un stade assez avancé. Au lieu de choisir un traitement chimio ou radio-thérapeutique, elle se tourna vers le chamanisme, en contradiction avec son monde et son éducation catholique. Elle réalisa même un premier voyage en Corée pour être initiée à cette religion encore très vivante là-bas.
Elle engagea ainsi un combat non seulement contre la maladie mais également contre son passé, ses "fantômes", les traumatismes inavoués jusqu'alors (un frère gravement blessé au cours d'un accident, resté longtemps dans le coma, décédé depuis ; d'une incompréhension mutuelle avec ses parents qui a conduit à la rupture de leurs liens ; des membres de sa famille déjà atteints de cancers...). Dans une des interviews, elle avoue avoir eu depuis son adolescence des moments de grande faiblesse morale, que par la suite ses enfants arrivaient à ressentir et extériorisaient eux-mêmes de manière assez inquiétante et troublante ; et entendre des voix qu'elle prenait pour des hallucinations.
Aujourd'hui ayant parfait sa formation de mudang auprès de sa mère spirituelle Kim Keum-hwa, et réussi sa "confirmation" lors d'une cérémonie rituelle, Andrea écoute ses voix intérieures et celles de ses patients pour les soigner. C'est à son tour elle-même qui forme de nouveaux chamans en Allemagne et en Autriche.

IX. La Confirmation
Les lames ont été affûtées en secret.
Andrea montera sur deux couteaux ainsi préparés, pieds nus.

Le père Norbert Weber quant à lui, était un missionnaire du début du XXème siècle. En Corée, il tenta donc de répandre la religion catholique dans un pays où le chamanisme était encore tout à fait commun. Il assista à des cérémonies qu'il filma et dont il cacha les pellicules pour éviter la censure nippone.


 

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